Comment raconter l’histoire ?

Voilà, j’avais désormais suffisamment d’éléments sur Nelly Martyl pour raconter son histoire : mon bloc de marbre de deux mètres de haut était là, je pouvais commencer à sculpter ! Mais comment m’y prendre ? Une possibilité aurait été d’écrire une biographie : raconter la jeunesse de Nelly, sa carrière à l’opéra, son parcours d’infirmière… Mais j’avais l’impression que cela occulterait une part intéressante de mon travail : toute l’enquête que j’avais menée.

Je décidai donc d’écrire mon livre de cette façon : chaque chapitre serait constitué de deux parties. Dans la première, qui se situerait dans le temps présent, je raconterais mes recherches sur internet, à la BnF, au Val-de-Grâce… Par exemple, comment j’ai découvert l’existence de Léopold Bellan. Puis, dans la seconde, j’écrirais la vie romancée de Nelly, à partir des éléments retrouvés. Par exemple, comment le philanthrope l’a aidée lorsqu’elle est devenue orpheline.

J’en ai parlé à Céline Vial, mon éditrice chez Flammarion Jeunesse, qui m’a fait une suggestion : au lieu de me mettre en scène, elle souhaitait que l’enquête soit menée par un personnage plus jeune, pour que les jeunes lecteurs puissent s’identifier plus facilement. Pourquoi pas ? J’ai donc imaginé qu’un étudiant en histoire d’une vingtaine d’années – il fallait qu’il ait de solides bases en histoire et qu’il puisse entrer à la BnF – mènerait l’enquête.

Problème : en 2015, lorsqu’écrivais le livre, Nelly Martyl était totalement inconnue. Comment mon étudiant pouvait-il avoir connaissance de son existence ? Grâce au livre de Jean-Marc Binot ? Non, car il aurait appris trop de choses et l’enquête serait devenue inutile.

Je me suis souvenu de la fondation Nelly Martyl. Mon étudiant pouvait très bien habiter le quartier de Belleville et, chaque matin, passer devant le bâtiment.

Un jour, il remarque des pancartes blanches apposées dessus : le bâtiment sera bientôt détruit. Il lève les yeux et lit :

“Qui peut bien être Nelly Martyl ?” se demande-t-il. Le soir, il rentre chez lui, va sur internet, tape son nom et l’enquête commence.

Ca y était ! J’avais le lien entre l’étudiant et Nelly. J’ai écrit le premier chapitre et je l’ai envoyé à mon éditrice. “Ca ne fonctionne pas, m’a-t-elle dit. Moi, je sais que ton enquête est passionnante. Mais un étudiant qui se lance dans un travail aussi gros simplement parce qu’il a lu un nom sur la façade d’un immeuble, je n’y crois pas ! Il faut qu’il ait une bonne raison de le faire, une vraie raison.”

Elle avait raison… Je devais creuser encore. Je me suis alors souvenu d’une anecdote racontée par Georges Benoist : lors de ses leçons de chant, Nelly Martyl avait toujours un foulard sur la tête. Elle cachait ses cheveux car, quelques années plus tôt, elle avait été victime d’une terrible agression et avait subi plusieurs trépanations.

En cherchant sur internet, j’ai retrouvé la trace de ce fait divers, qui s’était déroulé rue Chardin, à Paris, en octobre 1943.

Le Petit Parisien du 9 octobre 1943

Si je pouvais l’introduire en début de livre, ce serait gagné. Le lecteur se demanderait qui a agressé Nelly, et pourquoi. Et comme la réponse serait donnée en fin d’ouvrage par Georges Benoist, il faudrait lire tout le livre pour le savoir.

Mais il y avait un nouveau problème : comment mon étudiant pouvait-il avoir connaissance d’un fait divers totalement oublié concernant une cantatrice également oubliée ?

J’avais inventé un étudiant habitant dans le XXe arrondissement de Paris. Je pouvais très bien lui inventer une grand-mère. Et dire que cette grand-mère, lorsqu’elle avait dix ans en 1943, se trouvait dans la rue lorsque sa mère et elle avaient vu un corps par terre. Nelly venait de se faire agresser. Elles avaient alors prévenu les gardiens de la paix et, le lendemain, la mère avait expliqué à sa fille qu’il s’agissait d’une ancienne célébrité nommée Nelly Martyl et que tout allait bien.

Des décennies plus tard, la petite fille, devenue grand-mère, racontait souvent ce fait divers lors des repas de famille. Elle ne savait pas si Nelly Martyl avait survécu ni qui était l’agresseur.

Lorsque l’étudiant lut les mots “Nelly Martyl” sur la fondation, il se souvint immédiatement de l’anecdote et décida de mener une enquête pour pouvoir dire à sa grand-mère le fin mot de l’histoire : qui était Nelly ? Qui l’avait agressée ? Et pourquoi ? Il avait désormais une vraie raison de le faire.

Je tenais mon histoire ! Il ne me restait plus qu’à l’écrire…

Pour découvrir la fin de l’histoire, c’est ici !

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