En hommage à Marianne Cohn

Le 31 mai 1944, Marianne Cohn, une résistante juive allemande de vingt et un ans, prend en charge une trentaine d’enfants juifs à Annecy. Sa mission : les conduire en Suisse, où ils seront en sécurité. Malheureusement, à quelques centaines de mètres de leur destination, des douaniers allemands arrêtent le groupe. Marianne Cohn et les enfants sont emmenés à la prison du Pax, à Annemasse. Les enfants survivront mais la résistante sera sauvagement assassinée le 8 juillet 1944.

J’ai découvert Marianne Cohn grâce à son bouleversant poème “Je trahirai demain”. Cela faisait plusieurs années que je souhaitais lui rendre hommage dans un livre. En janvier 2020, au salon du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux, j’ai rencontré Ilona Meyer et Caroline Drouault, des éditions des Eléphants. J’aime beaucoup leur travail et, en discutant, je leur ai proposé d’écrire un album sur la résistante. L’idée leur a plu.

Lors de mes recherches, j’ai découvert l’existence de Renée Bornstein, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-huit ans, qui faisait partie du dernier groupe d’enfants convoyés par Marianne Cohn. Elle avait alors dix ans. J’ai eu la chance de discuter longuement avec Mme Bornstein de cette terrible journée et de la vie à la prison du Pax. Je suis très heureux d’avoir pu recueillir ce témoignage.

Le texte paraîtra le 22 septembre sous le titre Te souviens-tu Marianne? (édition des Eléphants). Il est magnifiquement illustré par Christel Espié, dont je suis le travail depuis qu’elle a mis en image des histoires de Sherlock Holmes, pour les éditions Sarbacane.

Il est toujours difficile d’avoir un avis sur son propre travail, mais j’ai l’impression d’avoir écrit l’un de mes textes les plus forts. En tout cas, l’un des plus nécessaires.

En attendant sa sortie en librairie, je vous propose de découvrir, ou de redécouvrir, le poème de Marianne Cohn :

« Je trahirai demain »

Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.

Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.

Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.

Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.